Salut, l'ami Serge !

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 Serge, lors de la manifestation parisienne du 10 décembre 2019



Les reportages de Serge d'Ignazio (/ Flickr)
Une rencontre, sur le terrrain... ;-) (30e seconde et suivantes)


Un sacré coup d’œil
L'un de ses deux X-Pro2 en main, avec une focale fixe (16 mm ou 90 mm) montée solidement sur le boîtier tout-terrain, un appareil qu’il pose volontiers sur la table, comme un outil qu’il ne peut laisser au vestiaire, lorsqu’il est invité sur un plateau de télévision[1], Serge d’Ignazio colle son œil de lynx au viseur, déclenche l’obturateur… Et une nouvelle image, aux noirs et gris profonds - « riches » comme disent les initiés - est récoltée. Une image parmi des milliers, documentant, détaillant, donnant à vivre ou à revivre au plus près tous les « Actes » des Gilets jaunes, depuis le premier d’entre eux, un évènement qui l’a sidéré, un certain samedi 17 novembre 2018… Une image qui est, souvent, une icône.
Car Serge d’Ignazio a un sacré coup d’œil.  Il a le réflexe (son appareil n’en est pas un, s’inscrivant plutôt dans la vénérable tradition des Leica M) d’un documentariste chevronné, systématique, social (les Américains disent joliment « concerned ») et humaniste.  A la façon des « grands » du reportage français, inventé et exporté dans le monde entier par les célèbres agences Magnum, Rapho, Viva, Gamma, Sygma, Vu et Sipa. Ô Capa, Riboud, Koudelka, Depardon, Vink, Morvan, Zachmann… Oui, ce soi-disant « amateur » a le courage (il en faut beaucoup !), l’intuition et le sens artistique (cadrage, jeu des profondeurs de champ, densité des ombres et des lumières…) de tous ces photojournalistes dont Henri Cartier-Bresson a sublimé la démarche ainsi : « Pour ’’signifier’’ le monde, il faut se sentir impliqué dans ce que l’on découpe à travers le viseur. Photographier : c’est dans un même instant et en une fraction de seconde reconnaître un fait et l’organisation rigoureuse de formes perçues visuellement qui expriment et signifient ce fait. C’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur. »
En ces temps où l’Etat, pour défendre un capitalisme sans-pitié, a laissé sa milice éborgner, en quelques mois, des dizaines de manifestants inoffensifs, profanant sciemment leur humanité, Serge d’Ignazio n’a cessé d’aligner sa conscience, son œil et son cœur, photographiant à ses risques et périls tous les acteurs, toutes les joies et tous les drames des Actes des Gilets jaunes. Son coup d’œil nous donne à voir, chaque semaine, ce qui nous fait battre le cœur et nourrit nos pensées. Il y a du chamanisme dans son courage de la vérité et, regardant ses images, j’entends le chant d’Héhaka Sapa Black Elk (Elan noir), homme sacré de la tribu des indiens Lakota (Sioux) : « L’Œil de mon cœur (’’Ishta’’) voit toute chose. Le cœur est le sanctuaire au centre duquel se trouve un petit espace où habite le Grand-Esprit et ceci est l’Œil (’’Ishta’’). Ceci est l’Œil du Grand-Esprit par lequel Il voit toute chose et par lequel nous le voyons… »
Antoine Peillon


[1] "Les Gilets jaunes comme vous ne les avez jamais vus", entretien de Denis Robert avec Brice Le Gall et Serge d'Ignazio, Le Média, 25 septembre 2019