Sœur Marie-Jo Biloa, dans les pas de Jésus serviteur


Association Solidarité Notre-Dame de Tanger / Paris XIXe

 













Rencontre

Sœur Marie-Jo Biloa, dans les pas de Jésus serviteur

Antoine Peillon / La Croix, 19 et 20 janvier 2019

Originaire du Cameroun, cette religieuse de la congrégation des sœurs de Jésus serviteur a découvert, il y a dix ans, la misère des migrants qui errent dans certains quartiers de Paris. Aujourd’hui, elle accueille une centaine d’entre eux, chaque jour, dans les murs de l’église Notre-Dame des Foyers. Une mission qui renforce sa foi.

« Il se passe de ces choses… » La phrase reste suspendue dans la lumière tamisée du petit bureau de l’association Solidarité Notre-Dame de Tanger. Sœur Marie-Jo Biloa, bientôt 71 ans, le visage rond et la peau lisse d’une jeune fille, essuie furtivement du revers de sa main, une larme qui point sur une joue. Derrière ses lunettes cerclées d’acier, son regard est comme penché sur la misère qu’elle voit croître chaque jour. « Il se passe de ces choses qui deviennent insupportables », reprend-elle, après quelques secondes d’émotion. La sœur de Jésus serviteur raconte alors l’histoire de Fatouma, cinq ans, petite fille arrivée d’Éthiopie avec son père, il y a un an.
Sans papiers et sans domicile fixe
« Cette enfant ne tient pas en place. Elle vient souvent près de moi, dans ce bureau, où elle passe des heures avec les jeux qui y sont entassés. Un jour, elle s’est fixée sur un petit biberon, mimant les gestes d’une mère. Puis, elle a perdu ce jouet et nous ne l’avons jamais retrouvé. Il faut savoir que, lors de sa traversée de la Méditerranée, il y a eu une tempête et que sa maman est tombée dans la mer, qu’elle a disparue, sans que son papa puisse faire quoi que ce soit pour la secourir… » Une nouvelle émotion oblige sœur Marie-Jo à faire une courte pause dans le récit. « Le père, nous n’arrivons pas à le sortir de son angoisse extrême. Il vient ici chaque après-midi, marche dans les couloirs, muré dans son silence, même si des psys bénévoles de notre association l’ont pris en charge très rapidement. »
« Certaines arrivent démolies »: à Paris, sœur Marie-Jo accueille des femmes migrantes et leurs bébés
« Ici », c’est le sous-sol de la vaste église Notre-Dame des Foyers, rue de Tanger, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, où les migrants se comptent désormais par centaines. Derrière ses lunettes cerclées d’acier, le regard de sœur Marie-Jo lance maintenant des éclairs de joie. « Malgré sa difficulté à se concentrer sur un jeu pendant quelques minutes, nous avons réussi à placer Fatouma dans une école. Jusqu’à il y a peu, elle ne nous disait jamais rien. Comme son papa. Et puis, juste avant Noël dernier, je lui ai fait un compliment sur les jolis papillons imprimés sur sa tunique. Alors, la petite m’a répondu. Fatouma parle le français ! Elle parle déjà très bien le français ! » La religieuse lève ses mains vers le ciel. Venue du Cameroun, où elle enseigna pendant plus de vingt ans, afin de suivre des formations dispensées en France par sa congrégation, elle découvrit avec effroi, en 2008, les migrants qui se réfugiaient par dizaines sous le métro aérien, dans le quartier de La Chapelle (XVIIIe arrondissement) de Paris.
Rencontrer sœur Marie-Jo pour « parler d’elle », n’est pas très commode. « J’ai honte, dit-elle, à l’idée d’apparaître personnellement dans le journal… » Mais, une fois le contact établi, la discussion est chaleureuse et passionnée. La visite du sous-sol de l’église Notre-Dame de Tanger est une affaire sérieuse, car, chaque soir, ce sont près de cent vies qui trouvent refuge entre ces murs, où les pièces ont des noms de cités bibliques. Voici les salles Capharnaüm et Naïm, des vestiaires remplis, presque jusqu’au plafond, de pulls, chemises, chaussures neuves, habits pour bébés divers et variés, couches, packs de lait maternisé… Mesurant d’un geste circulaire du bras cette montagne d’effets, la religieuse raconte : « Nous avons eu un afflux exceptionnel de dons, ce Noël-ci, car notre appel au secours du mois de novembre a été relayé par le photographe Yann Arthus-Bertrand, de la fondation GoodPlanet, auprès de ses très nombreuses relations dans la presse et l’édition. »
Le courriel du célèbre auteur et réalisateur de La Terre vue du ciel et de Human (1) décrivait, à l’entrée de l’hiver, une situation critique : « Sœur Marie-Jo accueille chaque jour des centaines de réfugiés rue de Tanger. Depuis quelques jours, son local est envahi par de très jeunes enfants, des mamans seules, des jeunes filles enceintes et énormément de jeunes hommes tout juste majeurs. Elle s’efforce de venir en aide à tout le monde, mais ses stocks diminuent à vue d’œil et certains besoins ne peuvent plus être satisfaits… » Suite à cette alerte, la générosité fut « providentielle », selon sœur Marie-Jo qui fait maintenant visiter la cuisine de l’association, où se prépare, chaque après-midi, un repas servi à une centaine de personnes originaires, pour la plupart, d’Afrique (Érythrée, Éthiopie, Somalie, Soudan, République démocratique du Congo, République centrafricaine, Mali, Cameroun, Côte d’Ivoire d’où viennent de nombreux mineurs, Sénégal et Guinée), mais aussi d’Afghanistan…
Une plaie profonde
Depuis deux ans, les quelque trente bénévoles de l’association Solidarité Notre-Dame de Tanger sont submergés par les migrants « mineurs isolés ». Sœur Marie-Jo constate que le premier besoin de ces adolescents est de parler : « Pour chacun de ces jeunes, il est vital de raconter son histoire, son parcours souvent dramatique, aux autres. Mais, bien entendu, nous nous sommes demandé ce que l’on peut faire de plus pour eux. Nous leur avons donc donné des cours de préscolarisation, parce que beaucoup d’entre eux ne sont jamais allés à l’école. Puis nous les avons dirigés vers des collèges et lycées. Aujourd’hui, nous avons vingt-deux jeunes scolarisés, dont quatre préparent le baccalauréat ! Nous arrivons même à les emmener au Louvre, au théâtre et au cinéma, pendant les vacances scolaires… Pourtant, beaucoup d’entre eux dorment encore dans la rue. Leur seule maison, c’est ici, à Notre-Dame des Foyers la bien nommée. »
« Il se passe de ces choses… » Sœur Marie-Jo supporte difficilement les rejets massifs du droit d’asile dont elle est témoin. Elle souhaite ainsi évoquer franchement les contraintes qui pèsent sur sa mission : « Il y a beaucoup de personnes que nous ne pouvons pas secourir, parce que nous sommes obligés de respecter la loi. On ne peut aider que les aidables (sic)… Nous ne savons pas quoi faire, en conséquence, des déboutés du droit d’asile. Un sans-papiers, on fait comment pour l’aider à se loger, à travailler ? Je ne comprends pas les lois qui créent de la misère et celles qui répriment le secours aux misérables. Je constate leur malfaisance, c’est tout. » L’animatrice charismatique de Solidarité Notre-Dame de Tanger évoque, à nouveau avec émotion, « ce petit gars très brave », Adam, âgé de 22 ans, « qui vit dans une tanière construite avec des sacs en plastique, dans la rue ». Elle soupire : « Nous posons un petit pansement sur une plaie profonde… »
Tout pour croire en la providence
Mais la religieuse, que tous appellent « maman » ou « mamie », ne perd presque jamais son espérance en la Providence. « Lorsque je me trouve impuissante devant une misère, je me tourne vers le Seigneur. En vérité, cette mission que je mène depuis 2010 (lire la bio-express) a beaucoup renforcé ma foi. J’ai vu que le Seigneur, devant tant de misère, n’abandonne pas l’homme. Parfois, c’est de façon imprévue… Je suis impressionnée, lorsque je doute, par la foi inaltérable de toutes ces personnes, chrétiennes ou musulmanes, qui ont vécu les pires horreurs et qui me disent : « Il n’y a que le Seigneur pour nous sauver ! » Moi, j’ai tout pour croire dans la Providence : l’affluence actuelle des bénévoles, tous ces dons qui nous arrivent, tout ce qui se soulève contre l’injustice te la misère ! »
Quand on lui demande ce qui l’anime au plus profond d’elle-même, sœur Marie-Jo entre en méditation. Derrière ses lunettes cerclées d’acier, son regard se perd dans les lointains de l’Afrique originelle. Après une longue réflexion, elle dit très tranquillement : « Il y a cette force intérieure qui me pousse chaque jour vers les autres et qui me dit : « C’est là que je veux que tu sois aujourd’hui ». Le souci du plus petit, l’aider à se relever quand il tombe, être présente auprès de chacun pour qu’il soit un être humain à part entière, pour que la dignité retrouvée cicatrise les humiliations : c’est ça qui m’a conduite à la vie religieuse. »
Antoine Peillon
  • Le livre La Terre vue du ciel, paru pour la première fois en 1999, a été suivi d’un documentaire au même titre, en 2004. Human, un documentaire disponible gratuitement sur Internet : http://www.human-themovie.org, fut diffusé en septembre 2015 dans les salles de cinéma françaises, ainsi que sur France 2.

bio-express
17 avril 1948. Naissance à Yemessoa (centre du Cameroun).
  1. Vocation, après une année consacrée par sa paroisse à la présence auprès du plus pauvre.
Adolescence. Engagée dans le Mouvement eucharistique des jeunes (Mej), près de Yaoundé, la capitale camerounaise.
  1. Religieuse dans la congrégation des sœurs minimes du Saint Cœur de Marie (Jésus serviteur).
Longtemps directrice du collège-lycée de la mission catholique d’Akonolinga (centre du Cameroun).
  1. Arrive en France (Grenoble)
  2. Découvre, à Paris, la misère des migrants africains.
  3. Distribue des petits-déjeuners aux SDF, avec un groupe de la paroisse Saint-Bernard de la Chapelle (Paris).
  4. Premiers accueils dans les locaux (sous-sol) de l’église N.-D. de Tanger et création de l’association Solidarité N.-D. de Tanger.

coups de cœur
Un chant liturgique
Tu es là présent, livré pour nous.
Toi le tout petit, le serviteur.
Toi, le Tout-Puissant, humblement tu t’abaisses…

« Ça résume tout ce que je reçois du Seigneur ! C’est un chant de communion de la communauté de l’Emmanuel que nous chantons à la messe. »
La Bible
« Si je devais choisir un livre, parmi tous, ce serait la Bible ; je l’aime beaucoup ». Sœur Marie-Jo y lit, entre autres, l’épître aux Philippiens : « Comportez-vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus-Christ : lui (…), il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et, reconnu à son aspect comme un homme, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort… »
Julie Chauchard
« Elle est la fondatrice de notre congrégation. Ma vocation religieuse m’est venue quand j’étais très jeune, certes, mais, ensuite, j’ai travaillé à fond sur l’esprit de cette femme ». En 1844, Julie Chauchard « découvre que suivre le Christ suppose de choisir sa manière à Lui ». Devenue Mère Marie du Bon Pasteur, « son désir, c’est l’instruction des filles les plus pauvres. »

« Voir dans chaque migrant un homme et l’accueillir comme un frère », par Sr Marie-Jo Biloa

Accueillir leur détresse. Touchée de voir des personnes « en errance » autour de la Gare du Nord, j’ai commencé à aller vers eux. Avec un groupe de la paroisse Saint-Bernard de la Chapelle (18e), j’ai d’abord distribué des petits déjeuners. C’était une façon d’entrer en contact mais nous n’avions rien à leur proposer de plus. Je les ai alors invités dans un endroit calme, à l’église Saint-Bernard. Deux, trois, quatre sont venus… En 2014, les flux migratoires se sont intensifiés. J’ai senti que nous avions besoin d’un lieu pérenne pour être à leur écoute. Mgr Renauld de Dinechin, évêque auxiliaire de Paris, a désigné la paroisse Notre-Dame des Foyers (19e). Cet accueil leur permet de se poser, de dialoguer, d’être accompagnés dans leurs démarches administratives, de santé ou d’insertion. Une vingtaine de bénévoles propose aussi de l’alphabétisation, un vestiaire… Nous travaillons avec une psychologue à qui les migrants peuvent raconter leur histoire, leurs déchirures. Nous pouvons ainsi mieux les orienter.
Être témoin de la Résurrection. J’ai vu vraiment des personnes ressusciter ! Ce qui me frappe, c’est que les migrants ont un dynamisme enfoui en eux. La vie est plus forte. A un moment, on les voit chercher à revivre. Un jour, dans sa détresse, un homme s’est pendu. On a réussi à le sauver. Dès qu’il est sorti de l’hôpital, il a repris la route. J’ai pleuré avec lui. Nous aidons les réfugiés à reprendre espoir. A un moment, ils ne savent plus quel est le sens de leur vie. L’errance fait ça. Ils sont déçus mais ils préfèrent dormir dehors en France qu’être là où ils étaient, dans leur vie de torture.
Servir les plus démunis. Ma congrégation a pour charisme de servir les plus démunis, de vivre en prise avec la « pâte humaine ». Jésus Christ s’est abaissé jusqu’à devenir homme. Notre charisme est celui de la proximité. Nous sommes présentes auprès de celui qui a besoin de retrouver sa dignité d’Homme.
Son message aux migrants. La vie est plus forte que tout le reste. La vie mérite d’être fêtée ! Dieu donne la vie en abondance. Nous allons fêter sa venue sur terre, chez les hommes. C’est ce que nous voulons vivre avec eux, cette année encore. Certains le ressentent et le disent. Les chrétiens vivront leur foi avec nous et les musulmans entreront dans la fête, parce qu’ils sentent que nous sommes heureux de célébrer Noël.
Son invitation aux communautés chrétiennes. A travers la personne devant soi, je nous invite à voir d’abord un homme. Comme toute personne. Peut-être différent dans sa manière d’être, de comprendre les choses, dans sa couleur de peau… Mais c’est surtout un homme que nous devons accueillir comme un frère – un frère en humanité, un frère en enfant de Dieu, un frère en Jésus Christ. En cette période de Noël, que tous ceux qui le peuvent se fassent proches d’eux. Nous devons chercher à faire rayonner autour de nous que la naissance de Jésus est le moteur de notre vie et que c’est cela qui la dynamise. Noël est une invitation à nous ouvrir à l’autre.

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