Dans les Alpes-Maritimes, heurs et malheurs de l’écotourisme

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MERCANTOUR

Dans les Alpes-Maritimes, l’écotourisme se développe tant bien que mal. Certes, le public rêve de plus en plus d’observer les grands animaux sauvages – aigles, chamois et loups… – dans leur milieu. Mais les investissements publics, parfois considérables, favorisent plutôt des loisirs de masse dont se détournent les amoureux de la nature. Dilemme…

Alpes-Maritimes
De notre envoyé spécial

Christophe Di Fraja est directeur du syndicat mixte pour le développement de la vallée de la Vésubie et du Valdeblore, depuis juillet 2013, particulièrement chargé du « développement économique touristique » et de la « gestion d’un parc animalier ». Depuis la même date, il est aussi « chef de service » au Conseil départemental des Alpes-Maritimes, chargés du « développement des stations de ski ». Beaucoup de responsabilités, qui le retiennent souvent à Nice, au Conseil départemental.
Lorsqu’un journaliste prend contact avec le parc Alpha, « le parc des loups » ouvert en juin 2005 au cœur du parc national du Mercantour, à plus de 1 500 m d’altitude et à quelque 75 km de Nice par la route, afin de pouvoir simplement le visiter et s’entretenir avec l’équipe locale qui gère cet équipement d’écotourisme naturaliste, il est mis en relation téléphonique avec Christophe Di Fraja lui-même. Non sans avoir été dirigé, tout d’abord, vers Julie Moziyan, la « responsable presse au département des Alpes-Maritimes », attachée au cabinet d’Éric Ciotti, le président du Conseil départemental.
L’entretien avec le directeur du syndicat mixte – lequel est présidé par Éric Ciotti – prend rapidement une tournure commerciale et politique inattendue. « Le parc Alpha n’est qu’une partie d’un vaste dispositif touristique développé par le département » dans la haute vallée de la Vésubie. Car l’ensemble comprend le « centre nordique » du Boréon, en hiver, avec mur de glace, pistes de ski de fond et sentiers raquettes, ainsi que l’impressionnant « Vesúbia Mountain Park » de Saint-Martin-Vésubie, où sont rassemblés piscine intérieure, pataugeoire, solarium, salle de sports, sauna et hammam, murs d’escalade, parcours acrobatique, toboggans aquatiques, cascades et grottes artificielles avec obstacles, pour le canyoning et la spéléologie en salle. S’y ajoutent encore un bassin de baignade biologique d’une superficie de 1 200 m2 et un « complexe thermal », à Roquebillière, sans oublier la station de ski de La Colmiane, sur la commune de Valdeblore, et sa « tyrolienne géante », une « attraction sensationnelle » présentée comme « la plus grande de France »…
Car, depuis 2013, au moins 50 millions d’euros ont été investis dans la vallée de la Vésubie par les Alpes-Maritimes. Christophe Di Fraja espère que cet investissement exceptionnel sera amorti d’ici à huit ans. Si tout va bien. De toute façon, cette manne financière est, selon lui, « le résultat d’une volonté politique du département de développer la montagne ». Pas toute la montagne, en fait. Car, un peu plus à l’ouest, à environ 55 km de Nice, la réserve biologique des Monts d’azur, qui s’étage de 1 200 à plus de 1 600 m d’altitude sur près de 700 ha, ne bénéficie d’aucune subvention du département des Alpes-Maritimes.
Le vétérinaire Patrice Longour, son propriétaire et gérant, a connu son heure de gloire, au Botswana, dans les années 1990, lorsqu’il participa, au premier chef, au classement du delta de l’Okavango en réserve de biosphère et patrimoine de l’humanité par l’Unesco. Aujourd’hui, sa réserve du Haut-Thorenc permet à 25 000 visiteurs d’approcher et d’observer longuement, chaque année, bisons d’Europe, chevaux sauvages dits « de Przewalski », cerfs, sangliers, chevreuils, renards, blaireaux, aigles royaux et vautours fauves… Le loup et même le lynx ont fréquenté les lieux, ces dernières années.
Fervent promoteur d’un écotourisme « responsable et durable, à vocation éthique ou écologique », le vétérinaire, aujourd’hui âgé de 60 ans, lutte contre le découragement. Il proteste, parfois durement : « L’environnement exceptionnel de la montagne de Thorenc n’est pas pris en compte par le département qui ne favorise que le tourisme de masse. » Il se baisse sur la pelouse en fleur de sa réserve et raconte : « La biodiversité incroyable que l’on observe ici devrait faire l’objet d’études scientifiques dont les résultats pourraient participer de sauver la planète de l’effondrement écologique qui la menace. Mais aucun moyen public n’est mobilisé pour ça. »
Au parc Alpha du Boréon, sur les hauteurs de Saint-Martin-Vésubie, Roger Bianchi, « responsable d’exploitation », fait visiter, en priorité, ses quatre gîtes flambant neufs, le restaurant L’O à la bouche, « ouvert toute l’année », les deux cabanes perchées en pleine forêt, à 1 600 m d’altitude, qui offrent un excellent confort malgré leur isolement… Sa collègue, Sophie Barberis, directrice adjointe du parc des loups depuis 2009, se passionne pour la pédagogie. En ce premier jour de l’été, deux classes de CP et de CE1 se pressent justement dans l’ombre du cabanon d’observation des grands loups noirs canadiens, à l’heure du nourrissage. Tous les enfants sont des Alpes-Maritimes, mais ils ne connaissent pas grand-chose encore de la nature sauvage, s’obstinant, par exemple, à nommer « cornes » les bois de cerf qui leur sont présentés par la soigneuse Natacha, une des 26 salariés permanents de l’établissement (ils peuvent être jusqu’à 39, en haute saison).
Certes, le parc Alpha accueille, chaque année, quelque 6 000 élèves et 68 000 visiteurs (jusqu’à 800 personnes par jour, l’été), générant un chiffre d’affaires qui lui permet d’atteindre l’équilibre de son budget de fonctionnement, mais les autres équipements touristiques financés par le département sont encore déficitaires, à hauteur de 600 000 € par an, selon un élu local.
Dans la commune de Saint-Martin-Vésubie, Henri Giuge, le maire actuel, souligne qu’à l’origine, le parc Alpha était un projet communal, monté avec l’appui des meilleurs scientifiques travaillant sur le loup et celui du parc national du Mercantour. Certes, il estime que le parc des loups et l’équipement Vesúbia Mountain Park sont des « points d’atractivité », mais qu’ils doivent inciter leurs visiteurs d’un jour à « se lancer dans nos nombreuses balades et randonnées en montagne, à la découverte d’une flore et d’une faune d’exception, dont le loup ».
En réalité, l’« avis » du maire sur l’efficacité des investissements départementaux en termes de développement durable n’est pas arrêté : « Saint-Martin-Vésubie s’en sort, en matière de tourisme vert, malgré la concurrence très forte des voyages low cost (à bas prix). Est-ce grâce au parc Alpha ? C’est difficile d’en faire l’analyse… » De même, Henri Giuge sent bien que les restaurateurs et logeurs potentiels locaux ne sont pas encore près de profiter de l’éventuelle affluence de touristes, plus ou moins sportifs, attirés par les murs d’escalades et cascades artificielles de Vesúbia Mountain Park.
À Valdeblore, la magnifique commune perchée en balcon au-dessus de la vallée de la Vésubie, Sophie (1), qui tient un gîte coquet et parfaitement équipé (dont un accès wi-fi gratuit), relève que la clientèle qui lui vient du parc Alpha, de Vesúbia ou de la tyrolienne de La Colmiane est réfractaire à la nature sauvage, souvent angoissée par le silence qui règne, la nuit, sur le village, et se plaint de l’absence de télévisions dans les chambres… « Ces clients décalés par rapport à l’environnement ne restent jamais plus de 48 heures chez nous », précise-t-elle. Avant de conclure : « En gros, il n’y a qu’au printemps et en automne que nous recevons des amateurs de montagne, qui restent plusieurs jours, demandent d’être accompagné par un professionnel en randonnée, consultent notre documentation sur la flore et la faune, apprécient les produits locaux de qualité… »
À Nice, Gaston Franco, personnalité politique de premier plan (depuis 1985, il fut député, député européen, conseiller général des Alpes-Maritimes, conseiller régional de PACA…), ancien maire charismatique de Saint-Martin-Vésubie, ne décolère pas. Lui, dont les réalisations de développement local basé sur l’écotourisme de pleine nature ont été validées par les scientifiques, les dirigeants du parc national du Mercantour et des investisseurs privés, considère que tous les grands équipements financés par le département des Alpes-Maritimes, depuis 2013, n’ont « plus rien à voir avec un projet de développement durable faisant de la Vésubie la porte d’entrée dans le pays du loup, de la nature sauvage et des montagnes d’azur ».
Détaillant les malfaçons et les déficits des différents aménagements du syndicat mixte pour le développement de la vallée de la Vésubie et du Valdeblore, l’initiateur du parc Alpha (dès 1993) affirme que « le saccage a eu lieu et que la vallée ne s’en remettra pas de sitôt ». Son sentiment est partagé par des gardes moniteurs du parc national du Mercantour et un agent de l’Office national des forêts qui connaît, depuis longtemps, tout le secteur.
En cette fin juin, sous la station déserte de La Colmiane, les câbles de la « plus grande tyrolienne de France » zèbrent le ciel bleu, au-dessus du petit lac limpide de la Combe et du vallon des Bachasses. Les bâches publicitaires qui décorent normalement le point d’arrivée se sont détachées de leur support et flottent dans la légère brise de la fin du jour. À travers ses jumelles, un agent de l’Office national des forêts cherche à observer le vol d’une buse, d’un épervier, d’un faucon ou même d’un aigle, tous familiers de ces montagnes. Il craint de voir l’un de ces beaux rapaces percuter un câble de la tyrolienne.

Antoine Peillon

(1) Le prénom a été changé.

Sur la-croix.com : https://www.la-croix.com/Journal/Heurs-malheurs-lecotourisme-Mercantour-2017-07-11-1100861994