L'AMAP Cantagal, à Villeveyrac (Hérault)

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La saveur paysanne de la convivialité

En pays de Thau, près de quatre-vingts familles se sont engagées à soutenir l’agriculture paysanne. Elles bénéficient ainsi de légumes sains – et savoureux – mais ont surtout créé une communauté conviviale, où la solidarité n’est pas un vain mot.

Antoine Peillon / La Croix /

Hérault
De notre envoyé spécial

Ce soir de fin août, après une journée de forte chaleur, le rendez-vous hebdomadaire des « amapiens » de Villeveyrac (Hérault, 3 670 habitants), à l’ombre des arbres de la ferme de Magali et Denis Dorques, vire au meeting de rentrée.
Paniers, filets ou sacs accrochés au creux des bras, ils sont bientôt une quinzaine, femmes, hommes et enfants de tous âges, à se lancer dans des conversations animées sur leurs vacances tout juste terminées, les dernières nouvelles du pays et la sécheresse qui dure.
Au point de tarder à se servir dans les cageots installés sur les tables à tréteaux par Magali et arrangés par Margot, 8 ans, la petite sœur d’Ulysse, 14 ans, lequel aide aussi sa mère à sortir les fruits et légumes de la remise où ils sont conservés au frais.
Aujourd’hui, le panneau des récoltes affiche une abondance estivale : melons et melons jaunes, oignons doux des Cévennes, haricots, quatre sortes de tomates (rouges, anciennes, cerises et tétons de Vénus), poivrons, concombres, basilic, courgettes et salades. Tout est bio, la conversion de l’exploitation datant de 2008.

L’enjeu d’une agriculture locale

Première arrivée, Pierrette Alguero-Martinez, pharmacienne à Mèze, sur le rivage de l’étang de Thau, dit son bonheur d’être adhérente de l’Amap Cantagal « depuis le début », en 2007. Outre l’occasion hebdomadaire de « rencontrer des gens » qu’elle ne connaîtrait pas autrement, elle apprécie beaucoup de « découvrir des légumes oubliés, ou injustement dépréciés, comme le chou-rave, par exemple ».
Mais d’autres motifs sont plus importants pour elle : « j’ai des convictions, tout comme Magali et Denis. Pour nous, le maintien d’une agriculture paysanne, locale et bio est un enjeu. » Elle se réjouit de voir que « beaucoup de jeunes, nouveaux venus au village » adhèrent à l’association.

Le besoin de manger différemment

Christine Halet, professionnelle de santé à Frontignan, est adhérente depuis seulement deux ans. Mais l’habitude est bien prise de venir, chaque jeudi soir, à Villeveyrac, faire son plein de fruits et légumes de saison pour la semaine. « C’est un choix de manger différemment, certes, analyse-t-elle. Déguster les produits de Magali et Denis, ça donne des visages et une âme aux repas, ça participe à la qualité de vie. »
Elle aussi fait part de « convictions » : « Adhérer à l’Amap, ça nous rapproche de la vie paysanne, de façon participative bien plus qu’en tant que consommateurs. Oui, c’est un engagement associatif et – heureusement – très convivial ! »

Participer à la vie de l’exploitation

Car la convivialité est le ciment le plus manifeste de l’association. Dans la compagnie bavarde et joyeuse des Cantagal, les « convictions » associatives de Pierrette et Christine semblent partagées par tous. Véronique Copeaux, aide-soignante qui vit à Cournonterral, a découvert la ferme des Dorques par le réseau des Colibris.
« On est tous là à peu près pour la même chose : bien manger, sainement, en bio, bien sûr, mais participer aussi à la vie de l’exploitation, apprendre plein de trucs sur les cultures et la nature, mais aussi donner un sens », s’enthousiasme-t-elle. Précisant son dernier propos, elle ajoute : « L’Amap, c’est une philosophie, et je ne pensais pas qu’il y aurait autant de gens, de milieux très différents, à la partager ainsi. »

En cohérence avec un choix de vie

Ainsi, Tatiana Loubière, jeune mère d’origine russe, tient bien sûr à nourrir ses enfants – 6 ans et demi et 3 ans et demi – avec « des produits locaux et naturels, bons, sans pesticides, même si les menus des repas dépendant évidemment des récoltes et donc des saisons ». Mais elle est aussi « bien contente des liens chaleureux tissés avec beaucoup d’autres adhérents ».
Alors qu’un débat roule sur l’irrigation incontrôlée des vignes et même des oliviers du Languedoc, devant les étals multicolores et parfumés de la ferme de Magali et Denis, Patrick Fouqueray, ingénieur, adhérent depuis sept ans, considère que sa participation à l’Amap Cantagal n’est « pas militante », mais qu’elle est « simplement cohérente avec le choix de vivre dans un village rural où le rendez-vous du jeudi soir représente une parenthèse précieuse dans la semaine ».

Du militantisme pour certains

Le lendemain matin, à l’heure du café, l’une des initiatrices de l’Amap, Nicole Patin, habitante de Poussan, un village voisin de Villeveyrac, se souvient qu’elle cherchait, il y a plus d’une dizaine d’années, à créer une « boutique paysanne », sur le modèle de celles – célèbres dans la région – de Clermont-l’Hérault (Hérault) et de Millau (Aveyron). Pour bien faire, il aurait fallu fédérer une douzaine de producteurs. Ce fut un échec…
Son idée était de « promouvoir la vente directe entre paysans et consommateurs » en pays de Thau. Il s’agissait, en fait, d’un « projet militant », Nicole étant, à cette époque, membre d’Attac, syndicaliste, ancienne désobéissante civile du Larzac, proche de la Confédération paysanne et de José Bové…
L’Amap Cantagal est née, en mars 2008, de la convergence des idéaux des uns et du retour à la terre des Dorques, lors de la naissance de leur fils Ulysse, sur la propriété viticole du père de Denis.

75 familles au rendez-vous

Aujourd’hui, si la vie des deux jeunes paysans est physiquement dure, si le réchauffement du climat et la sécheresse conséquente se font gravement ressentir depuis deux ans, si le chiffre d’affaires de la ferme permet à peine de dégager un salaire décent, le succès de l’Amap Cantagal est stabilisé.
Quelque 75 familles s’approvisionnent, chaque semaine, en quatre points de distribution : Villeveyrac, Poussan, Frontignan et Sète. Une quarantaine d’entre elles est fidèle depuis plusieurs années. Magali et Denis Dorques se projettent même dans le futur. Ils ont installé un distributeur automatique de légumes dans un mur de leur maison, et ont planté deux hectares de pommiers.

L’expression de la solidarité

Leurs nouvelles orientations sont toujours prises après discussion avec les responsables de l’association, auprès desquels ils trouvent soutien, bons conseils et surtout amitié. « On est solidaire », résume Benoît Doumas, jeune professeur d’école à Poussan, adhérent depuis 2009, qui « cherche le meilleur moyen pour changer ce monde ».
À Sète, Arlette et Patrick Aquilina, retraités, et Claire Manseau, jeune psychomotricienne, représentatifs des convives de Cantagal, sont sur la même longueur d’onde « écologique au sens large » que Benoît.
Aujourd’hui, leur plus grande inquiétude est qu’il ne reste bientôt plus le moindre décilitre d’eau dans la nappe phréatique de Villeveyrac, asséchant du coup la ferme de Magali et Denis. Avec cette conviction que si « le ciel n’y est pas pour rien », c’est bien d’abord l’incurie des hommes qui sera la cause principale « de cette catastrophe annoncée ».
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Maintenir une agriculture paysanne
Le terme Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) a été enregistré en 2003 à l’Institut national de la propriété industrielle. La première Amap a été créée en 2001. En 2015, elles seraient près de 2 200, fournissant quelque 270 000 « consom’acteurs », pour un chiffre d’affaires d’environ 50 millions d’euros.
La charte des Amap éditée en 2003 et actualisée en 2014, à la suite d’une réflexion participative coordonnée par le Mouvement interrégional des Amap (Miramap), postule : «Résolument basées sur une conception de partage, les Amap visent à une transformation sociale et écologique de l’agriculture et de notre rapport à l’alimentation en générant de nouvelles solidarités. »
Antoine Peillon (dans l’Hérault)

(1) Amap Cantagal (« chant du coq » en occitan), 15 route de Mèze, 34560 Villeveyrac. Rens. : amap34cantagal.jimdo.com. Tél. : 04.67.78.96.65.
(2) Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne. Organisation altermondialiste internationale créée en 1998 en France.